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Channel: Commentaires sur : Pourquoi les journalistes Web méritent mieux
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Par : Marion Festraëts

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En dehors des questions d’organisation des rédactions, des spécificités techniques du web, des problèmes de management, je suis étonnée de voir qu’on discute as-sez peu de ce qu’est le métier de journaliste, et en quoi l’avènement du web a radicalement modifié la pratique du journalisme et sa « consommation ». Journaliste à L’Express depuis 13 ans, j’ai débuté dans ce journal et dans la matière à une époque où les téléphones portables n’existaient pas, où Google n’existait pas, où Facebook n’existait pas, et dans mon école de journalisme, les dépêches tombaient sur un télex dont on arrachait les pages d’un geste auguste. Quand j’écris ça, j’ai l’impression de sortir d’une caverne avec ma lampe à huile, comme disait Christophe Barbier au cours de ce séminaire dont Eric a divulgué ici et en direct la substantifique moelle sans soupçonner _ quel dommage ! _ qu’on aurait aimé être informé de cet exercice de transparence (Eric, on me voit somnoler sur une photo, c’est un peu gênant). Bref.
J’ai le même âge ou presque que mes confrères des rédactions web, et j’utilise évidemment quoti-diennement internet, aussi bien dans mon boulot que dans ma vie de tous les jours. Je ne connais aucun journaliste de la presse papier qui n’en fasse pas autant, c’est une évidence, et cela montre bien que ce métier est une école d’adaptabilité. Pour autant, comme je veux croire que la presse écrite a encore un avenir, je trouve très bien que d’aucuns trouvent leur bonheur professionnel dans la manipulation d’outils informatiques et de mys-térieux réseaux qui personnellement m’excitent autant que la manipulation d’un nagra ou d’une caméra. Pas tellement, donc. D’ailleurs, à ems débuts, j’ai croisé des enquêteurs extraordinaires infoutus d’utiliser un ordinateur ni même une machine à écrire, et il ne me serait pas venu à l’esprit, alors, de railler leur manque de modernité. Respect.
La meilleure défense étant l’attaque, j’admire la louable combativité dont Eric fait usage lorsqu’il entend promouvoir les immenses qualités de ses équipes _ qualités qui ne sont pas remises en cause, à ma connaissance. Nul besoin de prétendre qu’ils sont « plus ceci » ou « plus cela », ils sont journalistes, un point c’est tout, et ça me va très bien. Cette compétition dégradante pour tout le monde n’apporte rien au débat mais contribue largement au dénigrement général dont les jour-nalistes font l’objet.
Le nerf de la guerre, c’est l’argent, et personne n’en a. Ni le papier, ni le web, dont la survie dépend du premier _ élément central du malaise. Du temps de la lampe à huile et de la marine à voile, quand il y avait encore quelques sous dans les caisses, on faisait encore de beaux et longs reportages avec de jolies photos en couleur imprimées sur du papier soyeux, et c’était bien. On prenait le temps d’enquêter longuement, de rencontrer du monde, de lire des livres épais et compliqués écrits tout petit. Occasionnellement, on prenait aussi le temps de réfléchir sur le monde qui nous entoure et qu’on est censés déchiffrer, semaine après semaine. Quand j’ai commencé, on exigeait des journalistes qu’ils passent leur temps dehors, en rendez-vous, en reportage. Aujourd’hui, plus le temps.
Ce temps-là, celui de la réflexion, de l’analyse, de la rencontre n’est pas le temps du web, média ra-pide et volatile. Ce qui ne signifie pas que l’on ne trouve pas sur le web des analyses profondes et pertinentes _ on trouve tout, sur le web. Mais son essence, sa nature profonde ont plus à voir avec le travail de l’agence de presse, de la radio ou du quotidien qu’avec la manière dont fonctionnait la rédaction d’un hebdomadaire.
Le bi-média est une réalité dont nous devons nous accommoder. J’utilise ce terme parce qu’on ne renonce pas de gaieté de cœur à certain « confort » synonyme de qualité : le temps. On fait au-jourd’hui L’Express avec une rédaction qui compte bien 30% de journalistes de moins qu’il y a 10 ou 15 ans, et ce n’est pas anodin. L’effort supplémentaire réclamé par le web, chronophage, explique largement le climat d’hostilité qui s’installe entre nos rédactions. Le fait que les jeunes journalistes embauchés aujourd’hui pas les sites d’information acceptent (mais ils n’ont pas d’autre choix) des émoluments inférieurs à mon maigre salaire d’embauche en 1996 inquiète la profession dans son ensemble, et c’est légitime.
Je suis curieuse de savoir ce que les lecteurs attendent d’un hebdomadaire d’information géné-rale aujourd’hui. Personnelle-ment, j’adorerais qu’on fasse deux pas de côté pour décrypter l’époque à travers des trajectoires individuelles, des histoires anecdotiques en apparence, des repor-tages au long cours. Du boulot « à l’ancienne », un peu comme le fait une revue comme XXI. Je ne vois pas cette appétence comme une nostalgie, mais plutôt comme une ambition : celle de proposer un autre regard. Lequel n’entrave en rien la complémentarité de nos médiums. La radio n’a pas tué le papier, ni la télé. Ces médias ne se sont pas construits « contre » la presse écrite. Mais à ses côtés, les uns renforçant les autres. Pour être riches, soyons différents. Vraiment.


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